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Bernard Souroque : L’homme qui marchait avec ses rêves.

L’ami Bernard Souroque, 67 ans, après une héroïque lutte con­tre la mal­adie, vient de tir­er sa révérence.
Au détour des furieuses années 70, l’oiseau s’était révélé (de pair avec Bernard Aubert, un des actuels dirigeants de la Fies­ta des Suds et de Babel Med) à tra­vers un club de jazz à Nîmes, Musiques en stock, sorte de New Morn­ing de région qui fit pass­er des groupes aus­si divers que Chet Bak­er, Lounge Lizards, ou Los Van Van. Puis avec d’autres, il créa sous la man­da­ture du maire vision­naire Jean Bous­quet, la Feria des musiques de rue. L’idée étant d’ouvrir la féria tra­di­tion­nelle aux musiques du monde et aux arts de la rue, rares à l’époque. De fait, autour des arènes, se croisèrent aus­si bien Roy­al de luxe que Zin­garo, le Groupe F que Doudou N’Diaye Rose, La Mano Negra que Les Gyp­sy Kings, Cheb Mami que Chico Buar­que.
Une des sources de son inspi­ra­tion, Bernard Souroque la trou­vait du côté des grands rassem­ble­ments fes­tifs du monde, des Fal­las de Valence aux Mar­di-gras de la Nou­velle-Orléans. C’est leurs dimen­sions trans généra­tionnelles, ce jeu de va-et-vient entre le « sacré » et le pro­fane, qui le pas­sion­naient. Ain­si la dimen­sion rit­u­al­isée d’un événe­ment fut t’elle presque tou­jours le fil­igrane de son tra­vail de met­teur en scène. En tout cas un temps, Nîmes l’Espagnole fut bien durant une décen­nie un lab­o­ra­toire artis­tique unique en France. Puisque s’y suc­cédèrent un grand nom­bre de man­i­fes­ta­tions dans lesquelles il put dérouler ses idées icon­o­clastes et partageuses. Sou­venons-nous du Fes­ti­val de fla­men­co, du Print­emps du jazz, des Quartiers en fête, de méga-con­certs aux arènes comme celui d’un Paul Simon.
Un change­ment poli­tique munic­i­pal l’ayant con­traint à s’investir ailleurs, il organ­ise ensuite La Car­naval­cade de Saint-Denis qui mar­quera de son empreinte la Coupe du monde de foot­ball 1998. Avant d’arriver à Mar­seille en quête d’un con­cep­teur urbain pour fêter les 2600 ans de la ville. Fort de sa mise en scène de l’album-photo de la ville du tau­reau (à tra­vers ses fameuses pegoulades), il épouse la même démarche dans la ville la plus naturelle­ment pluri­cul­turelle de France. Ain­si naî­tra en 1999 La Mas­salia, l’un des plus for­mi­da­ble événe­ment urbain réal­isé dans notre pays. Le principe étant de mobilis­er la cité dans ce qu’elle avait de pop­u­laire, en tra­vail­lant sur ses mémoires croisées et ses mytholo­gies. Ce pro­jet mobil­isant durant des mois, à tra­vers 60 ate­liers, des mil­liers de fig­u­rants et pro­fes­sion­nels qui inven­teront une remar­quable mosaïque de chants, dans­es, cos­tumes, musiques, cela au long d’un défilé épou­sant une scène de plusieurs kilo­mètres en hau­teur autour du vieux port. Plus de 300.000 per­son­nes se recon­nais­sant avec jubi­la­tion dans les divers­es expres­sions de l’esprit mar­seil­lais.
Le suc­cès de cet évène­ment en appelant d’autres, il fut décidé de pour­suiv­re et de créer une grande fête pop­u­laire sous forme de bien­nale. Trois grands ren­dez-vous naquirent de ce pari : La Marscéleste (pour fêter l’an 2000), L’Odyssée de la Can­nebière et Aux quais du large. Des rassem­ble­ments frater­nels de sons et de sens au cœur de la cité phocéenne qui, fatale­ment, devait faire de Bernard Souroque l’homme idoine pour pilot­er ultérieure­ment le lance­ment de Mar­seille-Provence, Cap­i­tale européenne de la cul­ture 2013, un jour périlleux de jan­vi­er. Une fête qui se déroula sur un périmètre de 380.000 m², d’Arenc à la Bonne-Mère, inclu­ant la Canebière. Le lever de rideau de cette nuit hors normes étant La Grande parade, jail­lie des Quartiers Nord et dévalant jusqu’au port indus­triel, qui mis à con­tri­bu­tion des plas­ti­ciens, des per­form­ers, des con­struc­teurs, dix lycées tech­niques, con­ce­vant une immense che­nille lumineuse artic­ulée faite d’autos, bus, camion de pom­pi­er ou motos, cus­tomisés. Cette che­nille s’alimentant en fab­ri­quant sa pro­pre élec­tric­ité !
Oui, c’était ce genre de défi dadaïste dont Bernard Souroque se délec­tait, entrainant avec lui une bande « d’allumés » tous aus­si tal­entueux les uns que les autres, cela de la con­cep­tion à la sécu­rité (Ah ! le Mis­tral qui se lève lorsqu’un feu d’artifice géant doit être tiré !). Sa sen­si­bil­ité à l’enjeu du lien social (Cf. un passé d’éducateur de rue) lui enjoignant tou­jours, par delà des tal­ents venus d’ailleurs, de met­tre à prof­it les poten­tial­ités artis­tiques du cru, toutes ces dis­ci­plines avec lesquelles il pra­ti­quait, comme on dit aujourd’hui, de la co-con­struc­tion artis­tique. Cette con­vic­tion que Mar­seille était une « ville-monde », qu’il fal­lait la val­oris­er en tant que telle, sera égale­ment à la base de son (dernier) investisse­ment en tant que directeur du Fes­ti­val Jazz des Cinq Con­ti­nent (le fameux FJ5C très ten­dance sur lequel on aimait le cham­br­er !), qui s’est se déployé dans le somptueux Parc Longchamp. Pour lui en effet, inviter des artistes représen­tat­ifs du « jazz à tra­vers le monde » se fondait sur l’idée que chaque région de la planète influ­ait sur les modal­ités du jazz, ses imag­i­naires, ses formes, ses impro­vi­sa­tions. D’où des pro­gram­ma­tions au car­refour de jazz his­toriques tout autant que de la soul, du funk, du blues ou de musiques tra­di­tion­nelles.
Qu’on me per­me­tte ici quelques pro­pos plus intimes. Bernard avec sa séduc­tion naturelle fai­sait par­tie de cette (petite) dias­po­ra de « fadas » de musique(s) qui n’aiment rien tant que les vivre sol y som­bra, c’est-à-dire avec leurs parox­ysmes et leurs mélan­col­ies, si pos­si­ble dans leurs con­textes, leur asso­ciant tous les plaisirs con­nex­es qui vont avec… dont beau­coup d’éclats de rire. Dans le sil­lage d’un père musi­cien et chef d’orchestre, il avait sa cata­lan­ité au cœur, j’étais grif­fé occ­i­tan­ité ver­sus Langue­doc. Notre rap­port au local et à l’universel jus­ti­fia que plus de trois décen­nies durant nous avons pu con­duire une con­ver­sa­tion sur les cent manières de faire swinguer le monde.
Cet été, il fut absent de ce ren­dez-vous sétois où nous retrou­vions quelques mor­dus de musiques (dont le gars R.K.K lui aus­si déser­teur). Sa résis­tance au mal fut d’une élé­gance insigne. J’ose penser que sa force fut d’être porté par tous ses rêves qu’il avait réal­isés.
Frank Tenaille