Charte des Musiques
du Monde

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Jean-François Dutertre : la disparition d’un grand témoin et passeur du Trad.

Jean-François Dutertre vient de nous quit­ter.
Pour cer­tains d’entre nous, c’était un com­plice de trois ou qua­tre décen­nies. Pour le monde des musiques dites « tra­di­tion­nelles » du domaine français en par­ti­c­uli­er, des musiques du monde en général, ce fut un acteur essen­tiel, un expert avisé, un facil­i­ta­teur, un mil­i­tant d’une grande con­stance.
Acteur, il le fut dès le tour­nant de son ado­les­cence (groupes Les Escholiers, Grelot Bay­ou Folk) et surtout après son pas­sage comme phonothé­caire au départe­ment d’ethnomusicologie au Musée de l’Homme. S’impliquant dans le mou­ve­ment de réap­pro­pri­a­tion pat­ri­mo­ni­ale du « col­lec­tage » des années 60–70 et dans un folk à la française (inspiré par celui d’Outre-Atlantique incar­né par un Pete Seeger qui, dès 1972, exhor­tait à ne pas se laiss­er « coca-colonis­er »). Un mou­ve­ment qui sema les graines des vagues revival­istes et néo-trad’ à venir. Mem­bre du pre­mier folk-club français, le Bour­don, col­lecteur tant dans les Vos­ges qu’en Nor­mandie, au Québec qu’en Irlande, il fit par­tie comme chanteur et com­pos­i­teur du célèbre groupe Mélu­sine (neuf albums chez Poly­dor). Mais surtout, dans une époque assez folle, ponc­tuée de fes­ti­vals utopiques (façon Lambesc, Malatav­erne, Ves­dun…), optant pour l’épinette des Vos­ges et la vielle plutôt que pour le ban­jo du blue­grass, il con­tribuera avec ses pairs (John Wright, Cather­ine Per­ri­er, Jacques Ben­haïm, René Zos­so, Yvon Guilch­er, etc.) à ren­dre légitimes des iden­tités cul­turelles minorées sans rompre avec l’esprit des musi­ciens « rou­tiniers » d’hier, sus­ci­tant des sources d’inspiration inouïes.

Artic­u­lant des héritages anthro­pologiques (déjà le fameux P.C.I), donc lan­gagiers et musi­caux, à une con­tem­po­ranéité avec tout ce que cela impli­quera au niveau des lutheries, des façons de chanter et d’enseigner, de créer, d’échanger avec le monde.

Expert avisé, il le fut dès sa fonc­tion comme rédac­teur en chef de la revue Gigue (1972–1976), ombre portée des folk-clubs de l’époque (Le Bour­don, le TMS, La Vieille Herbe, à Paris ; La Chanterelle à Lyon) et des asso­ci­a­tions et ani­ma­teurs de hoo­te­nan­nies. Une revue qui posa le pre­mier cadre pro­gram­ma­tique d’une action col­lec­tive pour la recon­nais­sance de nou­velles pra­tiques musi­cales à l’échelle nationale. Dynamique qui abouti­ra à la struc­tura­tion dans les années 80–90 des Cen­tres de musiques tra­di­tion­nelle puis de la FAMDT. Une exper­tise qu’il per­dur­era jusqu’à sa respon­s­abil­ité à la tête du CIMT (Cen­tre d’information des musiques et dans­es tra­di­tion­nelles) qui sera inté­gré plus tard au sein de l’IRMA.

Facil­i­ta­teur, il le fut dans son rôle de directeur de col­lec­tion au Chant du Monde où il sus­ci­ta une Antholo­gie de la musique tra­di­tion­nelle française qui fit évène­ment à l’époque. Mais égale­ment dans son impli­ca­tion dans les richess­es de la trans­mis­sion des musiques modales.

Mil­i­tant comme ceux de sa généra­tion, il n’a cessé de défendre la pro­fes­sion­nal­i­sa­tion et les droits des musi­ciens et chanteurs à tra­vers ses divers­es fonc­tions, notam­ment au sein du SFA (Syn­di­cat des Artistes Français) puis de l’Adami, et plus glob­ale­ment les enjeux (esthé­tiques, philosophiques, citoyens, économiques) des musiques du monde sous leurs dif­férentes accep­tions.

Le réseau Zone franche pou­vant témoign­er de ses plaidoy­ers tran­quilles et con­stants dans les arcanes insti­tu­tion­nelles en faveur de ces idiomes musi­caux qui car­togra­phient la diver­sité cul­turelle de la planète.

Frank Tenaille,
Jour­nal­iste et Vice-Prési­dent de Zone Franche