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Pour une meilleure découverte des musiques du monde francophone

PLAIDOYER POUR UNE MEILLEURE DÉCOUVERTE DES MUSIQUES DU MONDE FRANCOPHONE,
DE LEURS CULTURES ET DE LEURS LANGUES DANS L’ENVIRONNEMENT NUMÉRIQUE

Rappel préliminaire

Il y a trois ans, Les Pro­duc­tions Nuits d’Afrique ont lancé le Lab­o­ra­toire col­lec­tif La Per­cée, qui réu­nit artistes, pro­fes­sion­nels de la cul­ture et chercheurs pour analyser et met­tre en lumière les défis de décou­vra­bil­ité en ligne des Musiques du Monde. 

En 2023, Zone Franche, le réseau des Musiques du Monde, est devenu parte­naire et coréal­isa­teur de La Per­cée pour son déploiement inter­na­tion­al, en met­tant en œuvre la force et les syn­er­gies d’un réseau de pro­fes­sion­nels présent sur plusieurs con­ti­nents. 

C’est ain­si que La Per­cée a pu aller à la ren­con­tre des pro­fes­sion­nels dans divers moments dont des salons inter­na­tionaux en France (Babel Music XP, MaMA), en Afrique (MASA en Côte d’Ivoire, Visa For Music au Maroc), et lors d’un événe­ment majeur : le Som­met de la Fran­coph­o­nie, à Paris, au mois d’octobre 2024.

Alors que la France Music Week a réu­ni ce mois de juin, à Paris, les géants de l’industrie musi­cale, dont ceux du numérique, nous pub­lions ce plaidoy­er fruit de ces  années de con­cer­ta­tion et de réflex­ion. Il inter­pelle l’ensemble des acteurs con­cernés pour préserv­er, pro­mou­voir et faire ray­on­ner, dans l’environnement numérique, la riche diver­sité des expres­sions musi­cales émanant des pays de l’espace fran­coph­o­ne.

Nous appelons les pro­fes­sion­nels de la musique de toute caté­gorie (salles et fes­ti­vals, pro­duc­teurs, salons, réseaux et fédéra­tions, syn­di­cats et col­lec­tifs, OGC, etc.) sen­si­bles à ces enjeux à sign­er cet appel (lien en bas) afin de pour­suiv­re et élargir les échanges.

 

Le plaidoyer

Plaidoy­er à sign­er ici

Les ser­vices de dif­fu­sion de musique en con­tinu (Spo­ti­fy, Deez­er, Apple Music, etc.) séduisent déjà plus d’un demi-mil­liard d’abonnés payants. Selon la Fédéra­tion inter­na­tionale de l’industrie phono­graphique, 59 % du temps que nous con­sacrons chaque semaine à écouter de la musique est passé sur ces ser­vices. Si l’on peut se réjouir de l’accès qu’elles don­nent à une pléthore de con­tenus, soyons aus­si con­scients que les plate­formes nous enfer­ment dans une bulle d’écoute d’œuvres musi­cales qui se ressem­blent et qui ne cor­re­spon­dent pas tou­jours à nos préférences.

Des études con­jointes menées par le lab­o­ra­toire col­lec­tif La Per­cée, des Pro­duc­tions Nuits d’Afrique, et la Chaire UNESCO en com­mu­ni­ca­tion et tech­nolo­gies pour le développe­ment de l’Université de Québec à Mon­tréal mon­trent que les sys­tèmes de recom­man­da­tions algo­rith­miques promeu­vent surtout des courants musi­caux dom­i­nants et inter­na­tionaux déjà pop­u­laires, au détri­ment de pro­duc­tions nationales, régionales et locales moins con­nues, notam­ment dans l’espace fran­coph­o­ne.

Pour l’heure, les plate­formes de stream­ing ont ten­dance à ne pas val­oris­er ni véri­ta­ble­ment favoris­er la cir­cu­la­tion et la décou­verte de la riche diver­sité du pat­ri­moine musi­cal fran­coph­o­ne disponible en ligne, dont les œuvres et les créa­tions musi­cales des artistes fran­coph­o­nes d’Afrique, des Caraïbes, des Antilles et de l’Amérique latine. 

Ce qui est préoc­cu­pant, c’est de con­stater par exem­ple que sur Spo­ti­fy, on ne compte qu’un seul artiste fran­coph­o­ne par­mi les 20 artistes africains les plus écoutés, ce qui illus­tre la dom­i­na­tion des pro­duc­tions anglo­phones et la dif­fi­culté pour les artistes fran­coph­o­nes d’accéder à une audi­ence mon­di­ale. Par ailleurs, les récentes mesures et obser­va­tions réal­isées par le lab­o­ra­toire La Per­cée, en étroite col­lab­o­ra­tion avec la firme Gra­di­ant AI, per­me­t­tent égale­ment de con­clure qu’à niveau de pop­u­lar­ité com­pa­ra­ble (mesuré en nom­bre d’abonnés Spo­ti­fy), les artistes de musiques du monde béné­fi­cient en moyenne de 40 % moins d’exposition (et donc moins de décou­vra­bil­ité) dans les playlists édi­to­ri­ales de la plate­forme que les autres artistes asso­ciés à d’autres caté­gories ou gen­res musi­caux.


S’enfermer dans une bulle musi­cale restreinte


Puisque les deux tiers de toutes les écoutes sur Spo­ti­fy se font à par­tir des listes de lec­ture, ce chiffre illus­tre une faible recom­man­da­tion et mise en valeur de la grande richesse et de la diver­sité de la scène musi­cale fran­coph­o­ne, par l’invisibilisation des artistes issus de l’immigration ou de la diver­sité et caté­gorisés dans des gen­res musi­caux minori­taires. Cette sous-représen­ta­tion devient par­ti­c­ulière­ment prob­lé­ma­tique lorsque l’on con­sid­ère que les playlists représen­tent un gain con­sid­érable d’écoutes pour les artistes.

En effet, l’écart d’exposition de 40 % se traduit directe­ment par un déficit de vis­i­bil­ité, de per­spec­tives économiques et de recon­nais­sance pour les artistes con­cernés. L’absence rel­a­tive des artistes de musiques du monde dans ces vit­rines priv­ilégiées lim­ite con­sid­érable­ment leur capac­ité à attein­dre de nou­veaux publics, créant un cer­cle vicieux où le manque d’exposition ini­tiale réduit les chances d’une décou­vra­bil­ité et d’une pop­u­lar­ité future.

De plus, les sys­tèmes de recom­man­da­tion des grandes plate­formes priv­ilégient les con­tenus déjà pop­u­laires ou issus de marchés dom­i­nants, ce qui ren­force la mar­gin­al­i­sa­tion des musiques fran­coph­o­nes de niche ou appar­tenant à des caté­gories et à des gen­res musi­caux moins pop­u­laires. Les sta­tis­tiques mon­trent notam­ment une faible pro­por­tion de streams et de titres pour ces réper­toires dans les classe­ments des morceaux les plus écoutés.

L’auditoire se retrou­ve donc enfer­mé dans une bulle musi­cale restreinte qui lim­ite son expo­si­tion à la diver­sité dont se tar­guent pour­tant les cat­a­logues des ser­vices de stream­ing.

Ce phénomène de con­cen­tra­tion des écoutes musi­cales en ligne creuse l’écart entre les suc­cès large­ment pro­mus et les artistes ou les titres moins con­nus, moins vis­i­bles et donc moins décou­vrables. Rap­pelons que, par­mi les dizaines de mil­lions de morceaux téléver­sés sur les plate­formes en 2024, près de 80 % n’ont jamais été écoutés, selon Deez­er. Ain­si, la diver­sité de l’offre disponible en ligne ne se traduit pas dans la con­som­ma­tion réelle de musique.


Pass­er de l’indignation à l’action


Cette ten­dance à la stan­dard­i­s­a­tion cul­turelle risque de s’accentuer à l’ère de l’IA généra­tive, qui pour­rait avoir des effets négat­ifs sur la diver­sité lin­guis­tique des con­tenus cul­turels aux­quels nous sommes exposés. Avec la pro­liféra­tion des con­tenus créat­ifs et cul­turels créés par l’IA, il devient aus­si cru­cial de se préoc­cu­per des risques de déval­ori­sa­tion des œuvres humaines, d’une rémunéra­tion inéquitable des artistes, du non-respect des droits d’auteur et de l’intégration non autorisée de grandes quan­tités de musique pour l’entraînement de mod­èles de lan­gage.

Selon la Con­fédéra­tion inter­na­tionale des sociétés d’auteurs et com­pos­i­teurs, d’ici 2028, près de 20 % des revenus des plate­formes de dif­fu­sion en con­tinu et 60 % de leurs musi­cothèques pour­raient provenir de musique générée par l’IA, ce qui entraîn­erait une perte rad­i­cale de revenus, estimée à une dizaine de mil­liards de dol­lars, pour l’industrie musi­cale au cours des années à venir.

Sans poli­tiques publiques, régle­men­ta­tion ni lois adap­tées en matière de cul­ture, de décou­vra­bil­ité, de droits d’auteur et de régu­la­tion des plate­formes de dif­fu­sion en ligne et des sys­tèmes d’IA, les géants du Web con­tin­ueront à hiérar­chis­er nos pro­duc­tions cul­turelles, déci­dant de ce qui « mérite » d’être vu, enten­du et recom­mandé, selon des critères opaques et motivés par la seule rentabil­ité.

Pour que ces plate­formes fassent par­tie de la solu­tion, elles doivent revoir leurs mod­èles afin de pro­mou­voir plus d’équité, de diver­sité et d’inclusion, dans l’intérêt de leurs publics diver­si­fiés et aux goûts éclec­tiques. Voir sa cul­ture, sa langue et son iden­tité représen­tées en ligne, c’est exis­ter. Il y va de notre human­ité com­mune, qui doit con­tin­uer à s’enrichir des ver­tus du dia­logue inter­cul­turel. Il importera aus­si de sen­si­bilis­er et d’éduquer les jeunes fran­coph­o­nes afin qu’ils adoptent des com­porte­ments cul­turels plus respon­s­ables en ligne et qu’ils dévelop­pent une appé­tence et une curiosité pour l’exploration musi­cale des voix d’expression mul­ti­cul­turelle.

Parce que la diver­sité des con­tenus en ligne est cru­ciale pour notre sou­veraineté cul­turelle, nous devons pass­er de l’indignation à l’action. Il s’agit d’empêcher une déshu­man­i­sa­tion de la décou­verte musi­cale et de garan­tir dans l’espace fran­coph­o­ne et partout dans le monde un accès équitable à une plus vaste palette de con­tenus musi­caux en français ain­si que dans les autres langues nationales et locales coex­is­tant dans la fran­coph­o­nie, qui con­tribuent à l’enrichissement cul­turel de cha­cun.

Il est urgent de ne pas laiss­er nos musiques et cul­tures fran­coph­o­nes entre les mains d’une économie de marché dom­inée par quelques entre­pris­es transna­tionales qui imposent à notre atten­tion ce qu’il faut écouter, à par­tir des for­mules mag­iques de leurs algo­rithmes.


Le droit de décou­vrir


Pour que la magie des algo­rithmes opère, les plate­formes de dif­fu­sion doivent com­pren­dre qu’il est pos­si­ble de met­tre en valeur et de pro­mou­voir la diver­sité des expres­sions nationales et locales sans nuire à leurs intérêts, à ceux de l’industrie musi­cale ou du pub­lic.

Il importe égale­ment de cocon­stru­ire un vocab­u­laire com­mun, en pro­duisant de nou­velles tax­onomies inclu­sives et en amélio­rant les pra­tiques d’indexation plus fine des œuvres (ten­ant compte des spé­ci­ficités lin­guis­tiques et cul­turelles), de sorte à ain­si refléter la plu­ral­ité des gen­res musi­caux au lieu de les regrouper dans des caté­gories génériques.

Nous, regroupe­ments pro­fes­sion­nels d’artistes et de créa­teurs, acteurs de l’industrie musi­cale, chercheurs et experts en décou­vra­bil­ité et poli­tiques cul­turelles, deman­dons qu’on recon­naisse le droit de cha­cun à décou­vrir, con­som­mer et partager des con­tenus reflé­tant sa cul­ture et sa langue et à y accéder, sur n’importe quelle plate­forme.

Nous en appelons aux États, gou­verne­ments et organ­i­sa­tions inter­na­tionales : adoptez et appliquez des normes, des principes, des direc­tives, des traités, des pro­to­coles, des poli­tiques publiques, des lois, des règle­ments et toute mesure proac­tive en matière de décou­vra­bil­ité cul­turelle, de sou­tien à la trans­for­ma­tion numérique des secteurs cul­turels, de régu­la­tion des plate­formes et d’encadrement de l’IA pour pro­téger et pro­mou­voir en ligne la diver­sité des expres­sions musi­cales des pays fran­coph­o­nes. C’est aus­si à nos décideurs publics de pren­dre des mesures pour soutenir le ren­force­ment des com­pé­tences numériques, la for­ma­tion et l’accompagnement des artistes, des créa­teurs et des pro­fes­sion­nels fran­coph­o­nes afin qu’ils puis­sent mieux référencer leurs œuvres (mots-clés, méta­don­nées, straté­gies de pro­mo­tion) et ain­si amélior­er leur décou­vra­bil­ité.

Soucieux de l’intérêt pub­lic et des choix déter­mi­nants pour l’avenir de nos sociétés, dans un con­texte où le rap­port de force favorise les géants du Web guidés par leurs seuls intérêts économiques, nous devons rester mobil­isés, cha­cun dans l’exercice de ses respon­s­abil­ités, pour men­er ce com­bat néces­saire. Abdi­quer reviendrait à laiss­er ces multi­na­tionales écras­er la sou­veraineté cul­turelle à laque­lle aspirent les peu­ples et les nations fran­coph­o­nes. Nos acquis en matière de pro­tec­tion et de pro­mo­tion de la diver­sité des expres­sions cul­turelles sont aujourd’hui grave­ment frag­ilisés et remis en cause.

Cet engage­ment est essen­tiel pour assur­er la péren­nité du plu­ral­isme musi­cal et préserv­er notre capac­ité à faire décou­vrir une cul­ture fran­coph­o­ne vibrante, que créa­teurs et publics de tous hori­zons pour­ront s’approprier à leur tour.

Des­tiny Tchéhouali, Pro­fesseur en com­mu­ni­ca­tion inter­na­tionale à l’UQAM, Tit­u­laire de la Chaire Unesco en com­mu­ni­ca­tion et tech­nolo­gies pour le développe­ment et Directeur sci­en­tifique du Lab­o­ra­toire La Per­cée
Johan Lau­ret, Directeur de pro­jet du Lab­o­ra­toire La Per­cée
Suzanne Rousseau, Direc­trice générale et co-fon­da­trice des Pro­duc­tions Nuits d’Afrique 
Sébastien Laus­sel, Directeur de Zone Franche, le Réseau des Musiques du monde
 

Les premiers signataires

GIRO MUSIC
LAMASTROCK
U2C
FESTI’CEOU
La Curieuse
Biz­z’Art Nomade
Drom
asso­ci­a­tion Aki­ba
Com­pag­nie Réso­nance / Per­rine Fifad­ji
SN3M-FO
Con­tre-Jour srl
Aki­ba asso­ci­a­tion
Muziekpublique
Rebec­ca Roger Cruz
CONTRE-JOUR
SUDS, à ARLES
Mutum­bu
La rue ketanou
Zamo­ra Pro­duc­tions
Champs et sons pro­duc­tion
Con­certs Au Vil­lage
Lamas­trock — Do Bwa
Tzig’Art
Quo­ti­di­en région­al en Bre­tagne
CRICAO
Dowdelin/ Kiled­jian / Under­dog Records/ Pre­mier Jour
ATTACAFA
Made in Africa
MUSIQUES METISSES
Maïa Barouh
Viavox Pro­duc­tion
KaRu Prod
CONVIVENCIA
Etincelles Pro­duc­tions
Mon­treuil Records
Mirtha Guer­rero La Machete
Tchal prod
Locom­bia
Syn­di­cat des Musiques Actuelles
Les Pro­duc­tions du ven­dre­di
Lyky Label France
Cie Marie Trezani­ni Au coeur de sa voix
Le Fil Rouge
Mel­max Music
SAF FEH
Coin Coin Pro­duc­tions
Asso­ci­a­tion Do Bwa
Le Tamanoir
Fes­ti­val Les Suds, à Arles
FEDELIMA — fédéra­tion des lieux de musiques actuelles
Inouïe dis­tri­b­u­tion
Arat kilo
Tzig’Art
It’sok
Coin Coin Pro­duc­tions
CHAMBRE SYNDICALE DE L’ÉDITION MUSICALE
SNAPSHOT SARL
DROP in the sea — Man­age­ment
Au fil des mondes/ Le Salmanazar Eper­nay
ACTER / Bisik
Babel Music XP
Le Chantier
Asso­ci­a­tion La Minus­cule
Asso­ci­a­tion La Brecha
A FILETTA
Bel­gian World­wide Music Net­work
Tour’n’­sol prod
17A7
Cécile Cast­era
Sébastien Lep­otvin
Jen­ny Jameer­bo­cus
Philippe Gouttes
René Lacaille
Ori­ane Lacaille
Guy Con­stant
Nadia Nid El mourid 
Le Télé­gramme (Quo­ti­di­en région­al de Bre­tagne)
Jérôme Krasnopol­sky 
Daniel Muringer